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Anna Vinnitskaya / Johan Jacobs

une conversation avec Anna Vinnitskaya, curatrice invitée et pianiste

Anna Vinnitskaya s’est associée à l’équipe de Flagey pour définir le programme des Flagey Piano Days. Il s’agissait d’une première tant pour Flagey que pour l’artiste. Célèbre pour ses talents de grande pianiste, elle occupera la scène à trois reprises au cours du festival. Entretien avec la commissaire invitée Anna Vinnitskaya.

Le Concours Reine Elisabeth est l'une des compétitions les plus célèbres et les plus exigeantes au monde. Comment le premier prix a-t-il changé votre vie en 2007 ?

À l’époque, cette victoire a joué un rôle de catalyseur dans ma carrière. J'avais certes déjà participé à de nombreux concerts, mais ce 1er prix a élargi considérablement le champ des opportunités qui m’étaient offertes. J'ai eu l’occasion de jouer dans de nombreuses salles prestigieuses avec des orchestres de grande renommée et des chefs d'orchestre célèbres.

Parlez-nous des artistes que vous avez choisis pour cette onzième édition

L’âge ou l’expérience n’ont pas été des critères majeurs à mes yeux, au cours de la sélection. J‘ai surtout voulu privilégier la personnalité des artistes. 

Evgeni Koroliov a été mon professeur de piano, il est devenu mon mentor et une sorte de deuxième père. Grâce à lui, j’ai redécouvert Bach sous un jour nouveau. Sa musique ne peut être plus belle que sous les doigts de Koroliov.

Je connais Severin von Eckardstein depuis sa victoire au concours Reine Elisabeth en 2003, et j'en suis devenue une grande admiratrice. C’est un pianiste très honnête et authentique, un véritable artiste.

Levi Schechtmann et Spartak Margayan sont deux de mes élèves. J’essaie de leur transmettre ce que j’ai appris de Koroliov : suivre sa propre voie, rester fidèle au compositeur, ne pas accepter de compromis, et faire de la musique parce qu’on ne peut pas s’en passer - et non pour en espérer de la gloire ou le succès.

Comment avez-vous choisi Evgeni Koroliov comme professeur ?

J'ai remarqué que dans ses masterclasses, tous les étudiants jouaient différemment, chacun avait son propre "style". J'ai beaucoup apprécié cela, un professeur qui n'enseigne pas une "interprétation standard" ou n’impose pas une façon de jouer, mais qui laisse aux étudiants leur liberté individuelle.

Pourquoi considérez-vous l'interprétation de la musique de Johann Sebastian Bach par Evgeni Koroliov comme révolutionnaire ? En quoi est-elle la meilleure?

Quand on entend Evgeni Koroliov interpréter Bach, on se dit : c'est exactement comme cela que ça doit être. Il joue de manière polyphonique, claire et toujours émotionnelle. L’expérience de concert la plus marquante qu’il m’ait été donné de vivre est d’entendre Evgeni Koroliov jouer Kunst der Fuge à Berlin. Il ne faut pas sous-estimer, me semble-t-il, la teneur émotionnelle de l'interprétation de Bach par Koroliov. Entretemps, j'ai beaucoup appris de lui, dans les grandes choses comme dans les petites. Le plus important est peut-être la passion pour la musique.

Levi Schechtmann est un pianiste au répertoire extrêmement varié. Entre classique et hip-hop, très actif sur les réseaux sociaux. Ces contrastes vous ont-ils fascinée et ont-ils guidé votre choix de l’inviter aux Flagey Piano Days ?

Levi Schechtmann est mon étudiant depuis un certain temps. Durant les cours, il joue bien sûr un répertoire classique, mais j'aime beaucoup son approche qui vise à attirer les jeunes et à les amener aux concerts. Il a réussi à développer son propre style et il improvise très bien, ce que je trouve très important.

Spartak Margaryan n'est-il pas le contraire de Levi Schechtmann ? En termes de répertoire et d'esthétique ?

Spartak pourrait en effet être considéré comme une sorte de contrepoint. En réalité, il ne joue que de la musique très exigeante et d'une certaine manière très sérieuse. C'est une personnalité artistique particulière, pour ainsi dire de l'ancienne école. Il est tout sauf standard, mais il reste fidèle à la musique. Son jeu peut captiver les auditeurs - parfois même contre leur gré – par son charme personnel, ou par celui de son interprétation.

Vous donnerez trois performances dans des formations différentes : en solo, avec l’ensemble de chambre Appassionata, et avec l’OPRL.

Ces trois rôles, ceux du soliste, du musicien de chambre et du soliste avec orchestre, font partie des formations standard de tout pianiste. Ces trois types de musique sont très différents. Ainsi, jouer un concert avec orchestre demande moins d’énergie que la performance d’un récital en solo. Par contre, ce dernier permet plus de spontanéité.

Qu’est-ce qui vous fascine tant dans le piano ?

En tant que pianiste, je cherche constamment à progresser et à repousser mes frontières en m’appropriant de nouveaux morceaux. Cet instrument permet de jouer de manière autonome, sans moyens auxiliaires, une musique qui se suffit à elle-même.

Avec l'OPRL, vous allez jouer le Premier Concerto pour piano de Rachmaninov. Selon vous, en quoi réside la force particulière de cette pièce ? Comment caractériseriez-vous votre interprétation ?

C'est l'un de mes concertos préférés, sinon mon concerto préféré de Rachmaninov. On entend ici le génie de 17 ans, qui intègre dans son concerto beaucoup d'influences de Grieg, Debussy, Liszt et Schumann. Cependant, le langage très particulier de Rachmaninov est déjà perceptible. Quant à caractériser mon interprétation, je préfère laisser l’appréciation au public.

Vous jouez les légendaires concertos pour piano de Bach avec l'Ensemble Appassionato, et donc avec votre professeur Evgeni Koroliov et son épouse Ljupka Hadzi-Georgieva. Comment votre interprétation de ces pièces a-t-elle évolué au fil du temps ?

Notre interprétation est devenue de plus en plus subtile, mais aussi plus libre et plus décontractée. Vu la nature même du piano, un instrument de percussion, l’interaction est un grand défi. Il faut véritablement respirer ensemble. Aujourd’hui, notre interaction au cours du concert est beaucoup plus spontanée que lorsque nous avons initié cette série en 2009.

Dans votre récital, vous juxtaposez le Carnaval de Schumann et les Zirkustänze de Jörg Widmann. Comment avez-vous construit ce programme ?

La musique de Jörg Widmann m'intéresse depuis longtemps. Ses Zirkustänze ont des points communs avec le Carnaval, me semble-t-il. De plus, à ma connaissance, Schumann est l'un des compositeurs préférés de Jörg Widmann.

Comment arrivez-vous à concilier toutes vos nombreuses activités : pianiste, professeure, mère, femme, famille ?

Je n'y pense pas trop, cela aide. Je fais simplement ce que je dois faire et ce qui me semble nécessaire. Cependant, je tiens beaucoup à préserver un équilibre. Et bien sûr, j’ai la chance de pouvoir compter sur le soutien et l'aide de mon mari, de mes parents et beaux-parents. Nous essayons également de partir de temps en temps en tournée en famille.